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PHILIPPE BOURDIN

Un "paradis" en Vallée d'Aoste

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Jadis Réserve Royale de Chasse de la Maison de Savoie, les vallées rayonnant au sud de la vallée d’Aoste autour du massif glaciaire qui porte justement le nom de Grand Paradis forment depuis 1922 un univers miraculeusement intact : le Parc National du Grand Paradis.
D’une superficie d’environ 70 000 hectares (répartis entre le Val d’Aoste et le Piémont), ce site essentiellement montagneux culmine avec le Grand Paradis et ses 4061 mètres. Il y est possible, en rentrant dans la communion des choses, d’observer et photographier bouquetins, chamois, marmottes, voire même des aigles.
D’où vient le toponyme Grand Paradis ? Anciennement, le massif était indiqué comme Mont Iseran. Localement, il était aussi appelé l’Evesquer (l’Evêque), peut-être en hommage à l’évêque d’Aoste à qui appartenait la vallée de Cogne. L’hypothèse la plus probable résiderait dans le nom de la zone de la haute Valnontey : le paradis des bouquetins.

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La naissance du Parc National (le premier d’Italie) est étroitement liée à la protection du rugueux bouquetin qui, habitant un domaine réputé inaccessible, représentait un trophée recherché. Ses cornes annelées réduites à l’état de poudre guérissaient à merveille des coliques et son sang était (à petites doses) un fortifiant. Mais la partie la plus désirée était la petite croix du cœur, petit os situé à la naissance de l’aorte et particularité anatomique exclusive à cette espèce spécifiquement alpestre.
Au début du XIXème siècle, il ne reste plus qu’une centaine de spécimens de race pure de ce splendide animal trapu, excellent grimpeur, sauteur remarquablement agile capable de franchir aisément les abîmes. Afin d’empêcher la disparition du bouquetin, la Cour de Turin en interdit la chasse, la réservant uniquement à la Maison de Savoie. Les patentes royales de septembre 1821 constituent donc la première mesure protectrice en sa faveur. La Réserve Royale de Chasse fondée par Vittorio Emanuele II (le roi chasseur) et devenue effective en 1856 le sauve de l’extinction totale et permet sa réintégration en plusieurs endroits des Alpes. Au fil de ses séjours réguliers dans le massif du Grand Paradis, le roi rend ces montagnes plus accessibles en faisant réaliser à ses frais de magnifiques chemins muletiers sur lesquels il se déplace à cheval, ainsi que cinq maisons de chasse et des abris en haute montagne. Alors que Umberto I perpétue la passion paternelle, Vittorio Emanuele III, grand protecteur de la nature, se déclare prêt à renoncer à ses droits de chasse et à céder à l’Etat italien sa propre réserve de 2100 hectares à condition que l’on y créé un Parc national. Deux ans plus tard, le 3 décembre 1922, l’une des plus harmonieuses, des plus attractives réserves de nature sauvage est inaugurée. Sa population bouquetine augmente considérablement et ses 340 km de chemins muletiers sont restaurés. Presque décimé pendant la dernière guerre par un braconnage effréné (on dénombre seulement 416 têtes en 1945), le bouquetin, comme toutes les autres bêtes d’ailleurs, y vit et s’y reproduit aujourd’hui en toute liberté. C’est ici son royaume et la fondation du Parc (dont il est le symbole) servira de modèle à celle plus tardive du Parc National de la Vanoise qu’il jouxte.
En dehors de quelques routes carrossables dans le fond des vallées, la découverte du Parc est exclusivement piétonnière, favorisée par un réseau rationnellement tracé qui serpente aujourd’hui sur 470 km à travers les sites les plus intéressants. Un choix d’innombrables excursions de la plus grande variété satisfait tous les goûts, selon les possibilités et les aspirations de chacun. Particulièrement attractifs, des sentiers entre 2000 et 2600 mètres d’altitude longent des pentes très escarpées ; si certains sont équipés de cordes fixes en acier, il n’est pas recommandé de les aborder seul sans une assez bonne expérience de la montagne.

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Le refuge Vittorio Sella

L’observation de la nature et de ses mises en scène est possible tout au long de ces itinéraires. La plus grande concentration d’animaux se situe néanmoins au-dessus de Cogne et de Valnontey, aux alentours du refuge Vittorio Sella * (2584 m d’altitude – tél.00.39.0165/74310) et plus particulièrement dans la grande combe du Lauson, parfaitement exposée. Par son emplacement idéal, par la qualité de l’accueil de la sympathique et dévouée famille Mappelli, par ses installations modernisées et son service d’hôtellerie, ce refuge de 180 lits (ouvert et gardé sans interruption de la semaine avant Pâques jusqu’à fin septembre) est le point de départ de grand nombre de randonnées et traversées marquantes.

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En voici quelques suggestions en terrain balisé, par des sentiers très bien entretenus et au marquage (traits de couleurs et numéros peints sur les pierres, les arbres ou les pancartes) apparent et clair. Rappelons que l’alpiniste conscient de l’environnement ne cueille pas les fleurs, n’effarouche pas les animaux et ne laisse aucune trace visible derrière lui. Ou bien encore que le plus expérimenté passe devant et règle son allure sur le plus faible ; les secrets de la montagne se laisseront alors pénétrés.
Cogne : s’il fait grand beau, il faut absolument monter au hameau de Gimillan à trois kilomètres. De la terrasse solarium du bien nommé hôtel-bar-restaurant Belvedere, le contemplatif jouira d’une vue imprenable sur les glaciers du Grand Paradis, sur la Grivola et plus à droite le mont Blanc. De Cogne (où l’on a passé une nuit et copieusement petit-déjeûné à l’hôtel Le Bouquet tenu par l’adorable Giuliana – tél.00.39.0I65/749600), une route goudronnée mène au hameau stratégique de Valnontey d’où le décor est engageant. Le refuge Vittorio Sella se gagne par un chemin muletier long de 5,78 km pour 920 m environ de dénivelé. Son point de départ longe le jardin botanique Paradisia. Dans l’après-midi ou le lendemain matin (tôt pour apercevoir les farouches chamois), on rejoint le petit lac Lauson, puis le plan de Récelloz au panorama saisissant. On emprunte ensuite l’alpage de l’Herbetet pour regagner Valnontey par de grands lacets.

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Une alternative : du refuge, on monte au col de la Rossa (3195 m) d’où l’on descend soit par le Grand Vallon de Vermianaz soit par le vallon du Pousset puis par les prés de Saint-Ours. On rallie alors Cogne via Crêtaz. A partir du Vittorio Sella, l’amateur éclairé peut escalader le Gran Serra (3552 m) de moyenne difficulté. En empruntant un couloir court et enneigé, on passe du glacier du Lauson à celui du Grand Val. Des rochers, d’accès facile, mènent au sommet le plus classique et le plus fréquenté d’où le panorama est extraordinaire.
Toujours du Vittorio Sella, le village de Dégioz se rejoint facilement par le col Lauson (3296 m) et permet de mutiples variations dont deux s’imposent particulièrement. On traverse le hameau de Vert-le-Bois pour continuer la grande route de chasse montant jusqu’à Orvieille. Devenue simple chemin muletier, la route longe d’abord le Lac Djuan puis le Lac Noir pour gagner enfin le col d’Entrelor (3007 m) d’où l’on descend à Rhêmes-Notre-Dame. L’autre parcours est de continuer jusqu’à Pont, dernière localité habitée de la vallée. Un large sentier mène au refuge Vittorio Emanuele II (tél. 00.39.0165/95710), tremplin pour atteindre la Madone du Grand Paradis d’où la descente, même par mauvais temps, assure un retour rapide au refuge (l’équipement de haute montagne est indispensable).

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(Photo : Marie-Thèrese Baray)

* En 1922, le Président du Club Alpin Italien de Biella acquiert la maison de chasse du Lauson pour la transformer en refuge alpin et la dédie au célèbre Vittorio Sella (1859-1943) dont la passion de la photographie épousa celle de la montagne. Il fut ainsi le premier à fixer le fameux K2.

Site mis à jour le 23 août 2023
21 novembre 2024