PHILIPPE BOURDIN |
(Photo : Phil'Hip)
Le prophète du saxophone ténor a succombé à une leucémie le 13 janvier 2007 à New York, conséquence d'une maladie génétique dénommée syndrome myélodysplasique (MDS). L'éternité lui est acquise.
Peu de musiciens auront été aussi controversés (peut-être incompris, surtout jalousés) que Michael Brecker. Une authentique dichotomie, un éclectisme cohérent auront contresigné sa carrière musicale. Ses paradoxes assumés, ce professionnel depuis 1969 se sera exposé à l'admiration autant qu'à l'irritation du monde jazzystique à travers les albums de la formation qu'il co-dirigea avec son frère, le trompettiste Randy Brecker, ou ceux du quintet Steps Ahead qui révolutionna le profil sonore et stylistique du jazz des années quatre-vingt. Une sonorité reconnaissable entre toutes, un phrasé virtuose épique, qui frappent, jusqu'à la stupeur : Brecker est assurément le saxophoniste ténor le plus influent, le plus imité - jamais égalé - de ces trente dernières années et ses soli sont fréquemment transcrits et étudiés.
Parce que le jazz est une culture fortement romantique où l'on apprécie plus la pathos que l'excellence suprême, le plus original interprète de l'hérédité coltranienne aura payé le succès d'une expérimentation linguistique et d'une révolution des genres. D'une harassante recherche de la perfection, aussi. De cette perfection qui dans le cas présent n'a pas ce coeur de pierre qu'on lui attribue d'ordinaire. Le sens de l'histoire est présent sans être oppressant, la modernité franche n'est jamais agressive. Ses soli suivent un mouvement en spirale engendrant des rebondissements, des jaillissements imprévus, des échos inattendus. Osant le déraisonnable, surpris lui-même par ses trouvailles, Michael Brecker, implacable et vertigineux, pour ne pas dire complexant, aura imposé son école de pensée avec la plus sincère humilité. Ne se considérait-il pas lui-même comme un "étudiant professionnel" ! Pour nous donner à vivre.
Enregistrés durant l'été 2006 avec Herbie Hancock, Brad Mehldau, Pat Metheny, John Patitucci et Jack DeJohnette, les neuf titres du rigoureux et lucide Pilgrimage constituent son testament musical (Emarcy - Universal Jazz). Inouï autant que bouleversant, Brecker, à la limite de l'effondrement, va ardemment au-devant des dieux et jette ses dernières forces dans cette intense coda qui appartient déjà à l'histoire. La maladie a accordé une trêve.
(Photo : Darryl Pitt)
(Photo : Darryl Pitt)
Los Angeles, dimanche 10 février 2008 : pour Pilgrimage justement, Michael Brecker s'est vu décerner deux Grammy Awards dans les catégories “Best Jazz Instrumental Album, Individual or Group” et “Best Jazz Instrumental Solo” (celui d'Anagram), portant ainsi son total à quinze ! Pour rappel, son premier remontait à 1988 pour l’album Don't Try This At Home (Impulse! - Universal Jazz).
Par son souci louable de rompre avec la tradition classique du big band, Wide Angles (Verve - Universal Jazz) était une oeuvre hardie, dense, aux textures et accents singuliers. Michael Brecker y avait profité de l’aide experte du merveilleux arrangeur-chef d’orchestre Gil Goldstein dont le mentor fut Gil Evans. Le leader n’avait pas son pareil pour conférer à ces partitions construites autour d’un quatuor à cordes et arrangées pour quinze musiciens une persuasion et une évidence propres à séduire l’auditeur le moins averti. Nous attendions avec impatience des images de cette aventure éphémère. Voici Angel Of Repose / Live In Japan Blue Note Tokyo, 2004 (DVD Jazz Door). Brecker s’y taille la part du lion, inspirant un plateau de haut vol. Imprévisibles, ses soli sont autant d’épopées. Climats prenants, couleurs imaginatives et souci du détail autant que de la ligne : tout concourt à faire de ce concert une réussite des plus accomplies.
(DR)
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Site mis à jour le 23 août 2023
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21 novembre 2024
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