PHILIPPE BOURDIN |
Émergeant de l’aube et des abîmes saphirs de la mer Tyrrhénienne s’élève la pyramide fumeuse du Stromboli qui, tel un phare, montre la route au navigateur nocturne. C’est ici par ailleurs que s’achève Le voyage au centre de la terre de Jules Verne.
Les anciens l’appelaient la Torche et son île la Ronde, la Conique ou la Toupie. Elle représente le sommet d’un puissant volcan dont les fondations reposent environ 2000 mètres en dessous du niveau marin. Une de ses multiples grottes aurait abrité Eole, le roi des vents surnommé l’ami des dieux. En ces temps odysséens vivait une authentique civilisation ; les contours et la finesse des personnages des vases et terres cuites de la période fastueuse de la Lipari grecque attestent l’indiscutable présence d’une véritable et propre école. Les sarcophages retrouvés ont été construits sur le lieu même en pierre locale (petra morta), sorte de scorie de lave que l’on trouve partout sous terre. Relâche des étrangers, Stromboli était le grand marché des insulaires voisins, mais aussi l’escale des Romains qui ramenaient les lions africains pour les jeux du cirque. Les historiens sous Auguste et Tibère en parlaient avec un sentiment d’effroi.
L’île se contourne lentement. Le débarcadère est un ponton et quelques barques ont été tirées sur la plage noire déserte. Voici San Vincenzo, éclatante localité aux ruelles étroites et tournantes se terminant par des sentiers en terre battue. Ses maisons cubiques chaulées de blanc, belles dans leur simplicité, se regroupent autour de la place triangulaire de sa pittoresque église. L’ambiance est secrète. San Vincenzo et sa voisine San Bartolo semblent renfermées sur elles-mêmes ; il y règne un calme indifférent que troublent à peine le bruit du ressac, la brise jouant avec les feuilles de vigne ou le bourdonnement d’une Vespa. Les bambous apportent l’ombre rare, les câpriers leur parfum prenant ; condiments bien connus, leurs boutons constituent l’emblème d’une île qu’un tanker maritime ravitaille en eau trois fois par semaine l’été.
Struògnuli (en dialecte) est pratiquement dénuée de ressources à part ses oliviers, ses citronniers et quelques vignobles encouragés par la nature du terrain ; c’est le vin de Malvoisie encore pressé au pied et jalousement exploité pour les seuls besoins du cultivateur. Outre l’agriculture, la pêche et le tourisme apportent l’essentiel à une population fortement typée.
On s’inscrit pour l’excursion du volcan (Iddu comme le surnomment les insulaires) au bureau des guides appartenant à l’Association des guides alpins italiens affiliée au CAI. Ici plus qu’ailleurs la sécurité est de rigueur. En fin d’après-midi, la petite procession laisse San Bartolo (San Bartolomeo est le patron des îles Eoliennes) pour emprunter un chemin muletier bien dallé de pierres plates et régulières, identique à une voie romaine. La marine le construisit en 1949 ; d’aucuns disent qu’il fut édifié pour les besoins du film de Rossellini, Stromboli, terre de Dieu interprété par Ingrid Bergman. Il serpente au milieu de genêts et d’épineux. L’apparition de la Sciara del fuoco (le chemin ou la balafre de feu), cette interminable pente vertigineuse par où s’écoulent, ruissellent les déjections incandescentes du volcan, est particulièrement saisissante.
La végétation disparaît pour laisser place à un monde minéral de scories, de coulées de lave durcies et de cendres.
Il faut compter trois heures de montée et trois haltes pour atteindre le belvédère d’où la vue plonge sur l’amphithéâtre et son cratère qui s’édifia un peu plus de 100 mètres en contrebas de la Cima de 926 mètres, bien après q’une explosion préhistorique éventra le flanc occidental du volcan. Panorama comme spectacle sont exaltants, euphorisants : au loin, deux îles Eoliennes voilées sont comme posées sur la mer. Au premier plan, c’est la splendeur et la puissance mystérieuse de la nature ; encore faut-il que le brouillard ou qu’un méchant vent rabatteur de fumées sulfureuses trop denses ne gâchent la visibilité ! La nuit enveloppe maintenant l’île. Les éruptions se renouvellent à peu près toutes les vingt minutes et dans un profond mugissement, une des cinq bouches vomit des blocs rougeoyants en un grandiose son et lumière. La descente durera deux heures, s’opèrant à la lampe torche dans les résidus volcaniques de l’ancienne Sciara, puis le long de la montagne pour traverser les joncs et finalement déboucher au-dessus de San Vincenzo.
Le Stromboli est-il dangereux ? Si son activité (réduite en ce moment) est permanente, on dénote surtout des microséismes. Par ailleurs, comme les croupes montagneueses forment une barrière naturelle, San Vincenzo et San Bartolo sont assez bien protégées des attaques directes de l’activité volcanique. Mais que pouvaient-elles faire en ce dramatique 11 septembre 1930 quand à 8h10 le cratère expulse brusquement une nuée de cendres ? Puis le calme, trompeur puisque dans un bruit de succion la mer se retire. En fait, c’est l’île tout entière qui se soulève d’un mètre. A 9h52, deux explosions anormalement violentes ébranlent Stromboli. Des projectiles dont un bloc d’une trentaine de tonnes s’abattent sur la sauvage Ginostra et son « plus petit port du monde » qui ne peut abriter qu’une barque. Des cendres chaudes plongent l’île dans l’obscurité. C’est alors cette avalanche incandescente d’une température de 700 degrés qui dévale vers la mer à une vitesse de 20 mètres/seconde et précède le violent reflux de la mer, plutôt le raz de marée qui emportera un vieillard. Il est 10h19. Au total sept personnes périront et l’île sera partiellement détruite.
Si le volcan est l’essence même de l’île, il est conseillé de séjourner quelque temps dans celle-ci afin d’en avoir la révélation, un peu comme l’archiduc d’Autriche Ludwig Salvator qui de surcroît y vécut une intense relation avec sa Maria, la Donna del (équivoque) bacio. On pourra ainsi en faire le tour en bateau et observer le phénomène volcanique au pied de la plaie ardente de la Sciara del fuoco ou aborder le petit îlot basaltique du Stromboli, tout proche, qui se dresse comme un fantastique château médiéval. Loger chez l’habitant soit en pension soit en louant une petite maison qui, peut-être encore, possède le four dans lequel était cuit le pain de la semaine est sympathique et dépaysant. Prévoir une lampe torche ou frontale pour les déplacements nocturnes ; les ruelles étroites sont plongées dans la plus totale obscurité.
Il faut quitter cette harmonie de beauté sereine, âpre, et de nature sauvage et impressionnante par nuit limpide. Les feux intermittents du « Phare de la Méditerranée », visibles jusqu’à 40 milles, s’inscriront comme la dernière image d’une île pleine de caractère dont déjà nos cœurs s’éprennent.
Photos : Marie-Thérèse Baray, Philippe Bourdin
Paru dans Le Généraliste N° 1278 du 8 août 1991
Ps : Le 30 décembre 2002, suite à une vigoureuse reprise de l’activité explosive, l’effondrement dans les flots de l’équivalent d’un immense gratte-ciel de roches laviques qui se détachent de la Sciara del fuoco provoque un raz-de-marée dont la première vague haute d’une dizaine de mètres s'abat sur les maisons du bord de mer. Les précédents tsunami à Stromboli avaient été observés en 1930, 1944 et 1954. Le 1 janvier 2003, l’île est presque entièrement évacuée vers Lipari.
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Site mis à jour le 23 août 2023
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9 décembre 2024
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